Gilles Thévenin, l'âme derrière la renaissance de Lubin
La sublime maison Lubin est fondée en 1798 par Pierre François Lubin, au lendemain de la Révolution Française. Après avoir parfumé les plus grands Rois, Impératrices et Tsars d’Europe, Lubin se développe outre Atlantique à partir des années 1850, et connait un succès fulgurant jusqu’à son déclin à la fin du 20ème siècle. En 2004, Gilles Thévenin, grand passionné de parfums, et ancien directeur de la création chez Guerlain donne un second souffle à cette maison historique.
C’est une belle journée de printemps à Paris, et je retrouve Gilles Thévenin, le propriétaire et directeur artistique de la maison Lubin dans ses bureaux. Je suis reçue chaleureusement dans un somptueux appartement d’époque, où trônent élégamment œuvres d’art, et flacons de parfums anciens. Autour d’un café, nous échangeons sur cette maison de parfums à l’histoire passionnante...
Vous avez décidé de donner une seconde vie à la maison Lubin, qu'est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette aventure ?
J’avais l’envie de faire vivre la création de parfum traditionnelle, comme je l’avais connue chez Guerlain. J’aime beaucoup les formules de qualité, je n’aime pas les artifices, la triche, le marketing. J’apprécie la narration de belles histoires, mais je n’aime pas l’idée de storytelling. Je n’ai pas repris Lubin pour faire des affaires, je l’ai repris parce que cette marque légendaire était sur le point de disparaitre. Je connaissais son histoire, et je savais qu’elle était fascinante. J’avais à cœur de faire en sorte que cette histoire se prolonge. Je fais des parfums pour les gens qui ont le goût des belles choses.
Qu’est-ce qui vous inspire pour la création des parfums Lubin?
Je suis passionné d’Histoire, de contes et légendes depuis mon plus jeune âge. J’ai lu les mythologies de tous les pays: d’Inde, de Chine, de Scandinavie, les contes de Grimm... Tout ça est une véritable source d’inspiration, parce que cela raconte l’humanité. On se rend compte que, dans les légendes du monde entier, on retrouve toujours les mêmes archétypes: le vieux sage, la sorcière, la séductrice, le père protecteur, la mère aimante, le guerrier... et ça me passionne ! Je suis très habité par les images, donc quand je lis un texte, une profusion de visages, de personnages me viennent à l’esprit, et je cherche toujours à créer une harmonie entre le parfum et cette imagerie.
Avant de reprendre Lubin, vous avez été directeur de la création chez Guerlain. Est-ce très différent de travailler au sein d’une petite maison plus artisanale?
Guerlain était une Maison familiale, c’était une expérience passionnante. Je faisais un peu ce que je voulais, c’était exaltant. J’ai voulu recréer ce climat familial chez Lubin, et je pense que c’est réussi !
Pour créer les parfums Lubin, vous collaborez avec différents grands parfumeurs tels que Delphine Thierry ou Thomas Fontaine. Pouvez-vous nous parler de votre processus créatif? Comment travaillez-vous avec ces parfumeurs?
Je leur laisse beaucoup de latitude ! Je travaille uniquement avec des parfumeurs indépendants car je veux pouvoir contrôler l’origine et la qualité des matières premières qu’on utilise ainsi que celle des formules. Je leur propose un pitch, puis on en discute, et ils me font des propositions.
Avec Thomas par exemple, c‘est assez informel, on va déjeuner au restaurant, on boit, on développe les récits au fil de la conversation. Il est très bon vivant, comme moi-même !
Avec Delphine, c’est différent; elle est très raffinée, très sensible, les échanges se font sur un autre plan. Thomas est un architecte, il assemble des blocs puis il affine l’architecture de ses compositions par touches successives. Delphine est une dentelière, elle a tendance à tisser des choses subtiles, des suggestions qu’elles me fait sentir, puis on décide, ou pas, de prolonger certaines pistes. J’ai toujours plusieurs fers au feux avec eux, et de temps en temps, il y a quelque chose qui émerge. Et puis il y a des choses qui vont très vite. Pour la création d’Akkad, ça a été immédiat, comme une évidence!
Avez-vous une anecdote à nous raconter sur l’un de vos parfums?
On a justement dû reformuler Akkad à cause des nouvelles règlementations; l’encens que l’on utilisait contenait des traces d’un produit désormais interdit par la réglementation, et Delphine m’avait annoncé qu’il n’existait pas de solution pour préserver l’intégrité olfactive de la composition, si l’on était contraint de changer de qualité d’encens. C’était sans issue. Une semaine plus tard, elle m’annonce pourtant qu’elle a déniché un autre encens, celui qu’il nous fallait, mais deux fois plus cher. Elle m'envoie alors un essai avec ce nouvel encens, et en le sentant, j’ai su qu’on avait sauvé Akkad !
Je crois que vous êtes en possession des formules originales des parfums, pourriez-vous nous en parler?
Nous possédons les archives de Lubin, car je suis associé avec les anciens propriétaires historiques de Lubin. Nous avons les formules d’un parfum qui a été créé pour l’Impératrice Joséphine, d’un autre qui a été créé pour Pauline Borghèse... Grisette est une réinterprétation d’un parfum qui s’appelait « Royal White Rose », et qui aurait été le parfum de l’Impératrice Sissi. Nous devons bien sûr toujours tenir compte de la réglementation européenne, qui change tout le temps, mais nous parvenons à préserver l’esprit de la composition originale.
Quels parfums feriez-vous découvrir en premier à une personne qui ne connaît pas la maison Lubin ?
C’est très difficile, parce qu’ils sont tous issus d’une démarche originale, qui fait la signature de Lubin. Idole par exemple est un parfum exceptionnel, c’est le premier parfum qu’on a réalisé pour Lubin après son rachat. Il symbolise la rencontre de l’Afrique et de l’Asie, le voyage de Zanzibar à Macassar, sur la route maritime des épices. Les bois précieux, les épices, transportés sur des bateaux à voiles. Il y a aussi ce côté onirique, l’image d’un marin qui la tête dans les étoiles. Olivia Giacobetti m’a alors annoncé “pour toi j’ai mis du rhum parce que tu es un pirate!” (rires)
Akkad a été ma première collaboration avec Delphine, et j’ai eu le sentiment lors de sa création de passer un cap. Ce parfum disait tout ce monde antique qui me fascine, celui de la Mésopotamie : le berceau de l’humanité, les civilisations akkadienne, sumérienne... C’est l’essence sacrée destinée au corps du prince, ou à celui du grand prêtre. C’est somptueux, mystérieux, c’est le parfum qui élève l’âme.
Pour le printemps, H Parfums a reçu quatre nouveautés Lubin : Vetiris, Jardin Rouge, Mandarino et Itasca. Pourriez-vous nous dire quelques mots à leur sujet?
Pour cette collection, nous avons voulu créer des accords simples et élégants.
Vetiris s’inspire de la campagne italienne : la racine d’iris est associée à un vétiver très propre, chic et frais.
Jardin Rouge est inspiré de l’histoire d’un jardin où toutes les feuilles sont rouges, à Boston : C’est la rencontre entre les fleurs de magnolia et les fruits rouges, il y a un côté pétillant, très jeune, c’est facile en apparence, comme un parfum d’insouciance.
Mandarino, c’est le souvenir d’un voyage en Californie en août 77... Dans les banlieues résidentielles, les enfants se faisaient de l’argent de poche en vendant de la citronnade aux passants. On s’est dit, et si c’était des enfants du Sud de la France qui vendaient leur citronnade, près d’un champ de jasmin? Nous avons voulu un mélange d’agrumes: mandarine, pamplemousse, orange, citron, kumquat, que nous avons enrichi d’une touche jasminée.
Itasca, c’est le nom du lac où le Mississipi prend sa source, sur le territoire des Chippewas. Mon héros d’enfance était Davy Crockett, un trappeur qui vit dans les forêts du Minnesota, et j’ai eu l’idée de lui rendre hommage. Ce parfum, c’est une forêt de pins, où un trappeur vêtu de cuir fume son tabac près d’un feu de bois.
Pouvez-vous résumer l'identité olfactive de Lubin en trois mots?
Initiateur, parce que Lubin a ouvert la voie de la parfumerie moderne, et qu’il a aussi initié les gens de son époque à de nouvelles odeurs.
Nomade, parce qu’une constante de Lubin est cette idée de voyages lointains, d’ailleurs, et de rencontres.
Aristocrate, enfin, du grec « aristos » qui veut dire « les meilleurs » . Dans l’Illiade, Homère décrit des humains qui possèdent des qualités exceptionnelles de vaillance, de bravoure et de dévotion aux autres, ce qui a d’ailleurs donné la collection Aristia, qui signifie « la vertu des meilleurs »
Laisser un commentaire