Rania J, Parfumeure et créatrice de sa marque éponyme, vue par Annie Landreville, poète
En découvrant la superbe collection de parfums de Rania J, je suis tombée amoureuse des effluves d’Ambre Loup. Un véritable coup de foudre dans les règles de l’art, avec la chaleur qui monte aux joues, les jambes qui ramollissent et le cœur qui s’emballe. J’ai tout de suite eu envie de rencontrer la créatrice qui vit dorénavant en France, mais a grandi au Maroc et en Jordanie.
Pourquoi la parfumerie?
J’ai fait beaucoup de choses dans ma vie, et quand on fait beaucoup de choses et que ça marche, on se demande souvent où est notre véritable place. À la fin de la trentaine, j’ai eu l’impression d’avoir terminé ce qui était de l’ordre du devoir, dans ma vie professionnelle autant que familiale. J’avais été gestionnaire d’une entreprise et travaillé dans le tourisme, et franchement, j’aurais aimé que ça se passe mal, pour avoir un bon prétexte pour aller ailleurs! J’ai décidé de prendre un cours de parfumerie chez Cinquième Sens, par curiosité mais aussi par passion. Vous savez, je suis née en Jordanie, et travailler en parfumerie, on ne peut même pas penser à ça quand on est jeune. J’ai pris mes cours sans vraiment savoir que je ferais plus tard des parfums. Je m’imprégnais, j’observais, j’apprenais.
Le talent de parfumeur, ce n’est pas donné à tout le monde. Comment expliquez-vous votre prédisposition à la parfumerie?
Oui, mais parfois, les gens s’imaginent que tout sent très fort quand on travaille en parfumerie et qu’on a un bon nez. Moi, j’aime les matières: je sens la nourriture, je sens la terre, je sens tout! Je n’ai pas attendu d’être à l’école pour développer ça. Ce n’est pas de sentir plus, mais de sentir les matières comme des personnes, avec leur personnalité et de les mettre ensemble comme on compose des tables dans une réception, on met untel avec un autre et si ça fonctionne, on passe une magnifique soirée. Si on se trompe, avec les mêmes personnes mal placées, on a un désastre !
Est-ce que c’est long, créer un parfum?
Oud Assam a été fait dans un après-midi, une seule écriture! Rose Ishtar a été plus difficile. Il faut composer, poser, et revenir, poser et revenir. Il y a des matières qui sont rebelles, qui ne veulent pas, qui ne sont pas d’accord, comme les humains qui ne font pas de compromis! Il faut réfléchir longtemps, parce que le patchwork, en parfumerie, ça ne marche pas. À l’époque aussi, Rose Ishtar était éco certifié et ça faisait beaucoup de paperasse, c’était très compliqué. Là, il n’a plus de certification mais vous savez, il n’y a pas de colorant dans mes parfums. Les couleurs sont toutes naturelles. Je travaille en grande partie qu’avec des matières naturelles. Ambre Loup, on le voit, il est foncé, c’est résineux, il a une texture. La vanille naturelle, dans un absolu vanille, ça n’a rien à voir avec la vanilline.
On devine un respect du terroir et du travail de l’artisan dans vos créations. C’est quelque chose d’important pour vous?
Ah oui, je rêve d’être encore plus proche de ce milieu, des gens qui produisent les essences. Si on aime le parfum, c’est pour son âme! Une matière naturelle a deux facettes : le beau côté, c’est celui qui plaît au plus grand nombre, le plus évident; l’autre facette, plus sombre, pas dans le sens négatif, c‘est celle de l’intimité, c’est un côté un peu imparfait, imprévisible aussi. Un parfum naturel n’aura pas la même odeur le matin ou le soir, c’est le côté vivant de la matière.
Le bois d’oud, le cèdre, le santal, le jasmin, la vanille, le safran sont vraiment des odeurs qui évoquent l’Orient. Est-ce que vous créez à partir du désir de retrouver des souvenirs?
Pas tellement pour recréer, ça ne fonctionne pas comme cela pour moi. Je crois qu’il y a des souvenirs, évidemment, si j’étais Japonaise je n’aurais pas nécessairement connaissance de toutes ces épices. Ma palette olfactive est tournée vers l’Orient, mais ça, c’est ma base. Avant tout, j’ai besoin des odeurs de terre, de bois, de matière organique. Le jasmin est cependant une odeur qui a marqué mon enfance - celle du jardin de ma grand-mère. Le Maroc aussi, parce qu’on y a gardé un grand raffinement dans la cuisine, c’est plein d’épices, sucré, salé. Le monde des odeurs est riche, c’est un dénominateur avec beaucoup de gens. Il y a des gens de Singapour, d’Amérique et de la France qui m’écrivent, par exemple à propos d’Ambre Loup, pour me dire que ça leur fait quelque chose, ce parfum. Il ne faut pas faire les choses pour plaire à tout le monde et je ne pensais pas que ce parfum allait plaire comme ça! Il fonctionne bien partout. L’oud ajoute un côté sombre au parfum, qui contient beaucoup de vanille et de labdanum.
Ce sont des parfums qui ont beaucoup de personnalité, mais qui ne sont pas envahissants. Tout le monde les remarquent, autant les hommes que les femmes, mais ils ne dérangent pas. Pensez-vous que vos parfums ont une “atmosphère” particulière?
Ils ne sont pas persistants, pas stridents. Il y a souvent dans mes parfums un effet fourrure, rassurant, qui enrobe. Il y a beaucoup de gens qui veulent des choses différentes, en dehors des parfums commerciaux, et les odeurs nous renvoient à des images, des sensations.
Vos parfums sont-ils donc tous unisexes?
D’abord, j’aime beaucoup les parfums masculins, bien boisés, plus terreux, à part pour le jasmin, qui est très féminin évidemment. Ma clientèle est beaucoup plus masculine. Il y a aussi des femmes qui cherchent de tels parfums. Un même parfum ne sera pas porté de la même façon par un homme ou une femme, la peau ne répond pas de la même façon, c’est très intéressant.
Lequel de vos parfums vous décrit-il le plus?
De toutes mes créations, Ambre Loup est celui qui décrit le mieux ce que je suis à l’intérieur de moi, avec ces zones claires et sombres, organiques.
Entrevue : Annie Landreville
Les parfums Rania J sont disponibles chez H Parfums à Montréal, et sur notre site en ligne hparfums.com